Le 20 octobre dernier, le musée d’Industrie et d’Art André Diligent de Roubaix, mieux connu sous le nom de La Piscine, a rouvert après 2 ans de chantier dont 6 mois de fermeture.
La fondation du musée date de 1835, mais c’est en 2001 qu’il s’installe dans ce bâtiment de la rue des Champs, l’une des plus belles piscines Art déco de France, désaffectée depuis 1985. L’architecte Jean-Paul Philippon, artisan de cette reconversion, fut choisi à nouveau vingt ans plus tard pour ajouter 2 000 m2 d’exposition au périmètre d’origine : l’espace était devenu insuffisant pour valoriser correctement toutes les collections, dont une forte concentration en sculpture. Les réserves ne seront pas vides pour autant, mais une part plus significative du patrimoine sera désormais accessible.
L’une des nouvelles salles :
La même lors de l’ouverture :
Le musée faisait jusqu’ici l’objet d’une médiation numérique sub-minimale, mais l’objectif était d’équiper les nouveaux espaces de dispositifs audiovisuels et interactifs à la hauteur des pratiques actuelles. La mission me fut confiée d’encadrer ce déploiement.
Comme à mon habitude, en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage je suis intervenu depuis la formulation des besoins jusqu’à la mise en place des productions diverses, après en avoir assurer la conception fonctionnelle, les consultations publiques, la sélection des entreprises et la gestion des prestations – j’ai relaté ici de manière un peu lyrique les circonstances du lancement de ce projet, mais sans du tout en aborder la teneur.
Le périmètre n’était pas énorme :
- une application de table interactive sur l’histoire de Roubaix et un panorama de la Grand Place datant de l’expo universelle de 1911 ;
- un jukebox de documentaires vidéo administrables ;
- une exploration interactive de l’atelier du sculpteur Henri Bouchard, reconstitué ;
- les diffusions interactives d’animations sur les techniques de la sculpture ;
- la production des contenus d’un audioguide ainsi que la fourniture des matériels correspondants ;
- les matériels et infrastructures nécessaires à l’ensemble.
J’ai proposé d’extraire de la table interactive tout ce qui tournait autour du panorama, et d’articuler ce contenu dans deux stèles interactives à placer en mode lutrin devant le panorama accroché. Les contenus historiques de la table, eux, n’ont toujours pas vu le jour pour des raisons de coproduction avec d’autres institutions locales. A cela devaient s’ajouter une visite virtuelle des lieux et des propositions de réalité augmentée, dont j’ai fait l’étude mais qui, pour l’instant, ont été reportées au motif de la surcharge du personnel.
Les délais étaient effectivement très courts. A l’aune des autres musées dont j’ai accompagné ce type de projet, j’avoue avoir eu des doutes sur le planning. Je salue donc l’équipe en place, constituée principalement de la communication, la conservation, la documentation et le service des publics, pour leur investissement sans faille qui a permis de rouvrir le musée dans les temps.
Je profite de ce projet pour donner un aperçu de la genèse de la médiation numérique d’un musée, processus de l’ombre à la complexité insoupçonnée qui détermine pourtant une large part de l‘expérience de visite.
L’équipe avait déjà bien préparé le terrain en identifiant les principaux projets. Restait à arrêter le périmètre définitif et à préciser les intentions de chaque dispositif – ce qui fait généralement apparaître les problèmes de conception, engendrant des échanges pas toujours convergents entre les différents protagonistes. Il fallu donc quelques réunions et pas mal d’allers-retours pour mettre au point les cahiers des charges. Les consultations de marchés publics démarrèrent six mois après mon arrivée dans le projet.
Je me contenterai d’évoquer les deux applications les plus spécifiques : les stèles panorama et le cartel interactif de l’atelier Bouchard.
Stèles panorama
Lors de l’exposition universelle de 1911, des dioramas furent installés dont ne nous est resté que ce panorama de la Grand Place de Roubaix, fresque sur toile de 13 mètres sur 6 qui fut récemment retrouvée dans un état critique. Il fut décidé de la restaurer et de l’exposer dans le nouvel espace de La Piscine.
Bien que liée à l’histoire de la ville, il m’a semblé plus pertinent que cette œuvre monumentale fasse l’objet d’un interactif dédié plutôt que d’être enfouie dans une application plus générale à vocation historique. Cela permettait par ailleurs de disposer des écrans face au panorama, inclinés, de sorte qu’on puisse à la fois visionner les contenus interactifs et la fresque de la Grand Place. L’équipe du musée et l’architecte m’ont suivi dans cette analyse.
La structure du dispositif est classique, ce qui offre l’avantage d’une appréhension immédiate et facile par le public (j’ai en préparation un article sur les ravages de l’innovation à tout prix, souvent injustifiée malgré le respect religieux que ce terme inspire dans la communauté).
Ici, le spectacle est accroché au mur. La dimension monumentale de cette œuvre en impose. Le seul effet d’échelle rend humble. Le dispositif interactif en appui ne doit absolument pas concurrencer ce rayonnement, mais au contraire offrir des relais pour entrer dans l’image, en décoder l’histoire et mieux en mesurer l’épaisseur. Il s’agit d’amplifier – et non de détourner.
Toutes sortes de moyens (laser, analyse d’image, télé contrôleur…) auraient pu être utilisées pour interroger directement la fresque à distance, sans y toucher, et la réponse aurait pu prendre la forme d’un commentaire audio diffusé par un terminal personnel. Mais je préfère ne pas tomber dans la surenchère technologique quand les moyens traditionnels suffisent, et de toute façon un écran offre une bien plus large bande passante, notamment pour documenter les sujets à l’aide de visuels annexes.
L’arborescence :
…et l’algorithme de consultation :
L’écran principal a donc pris la forme d’un visuel festonné de pastilles appelant l’interaction :
…et ouvrant sur des bulles d’info :
…ouvrant elles-mêmes sur des articles illustrés (cette photo du panorama date d’avant sa restauration et n’a servi que pour la maquette).
Le parti pris de la simplicité n’empêche pas de chercher à surprendre. Ici, j’ai proposé un calque interactif superposant au panorama une photo actuelle, prise et traitée pour être raccord avec celui-là. L’interaction permet de déplacer la fenêtre contemporaine sur le fond de la fresque, comme un scanner temporel mettant en regard deux états de la place à 100 ans d’écart.
Atelier Bouchard
Le musée La Piscine a hérité de l’atelier du sculpteur Henri Bouchard (1875-1960) et l’a reconstitué dans les nouveaux espaces récemment ouverts. Une grande quantité de pièces et plusieurs outils sont visibles au-delà d’une mise à distance. Le but de ce dispositif est de documenter les pièces principales.
Là encore c’est la simplicité qui prévaut. Afin de déminer l’effet de foison, qui agit comme un emballage étanche, dissuasif, pour qui voudrait interroger les œuvres individuelles, on offre une représentation panoramique translatable et zoomable, sphérique (bref, un panorama interactif) dont les pièces documentées affichent leur disponibilité interactive – dans un langage graphique similaire à celui que le visiteur aura déjà maîtrisé pour la fresque de la Grand Place.
L’arborescence :
…et l’algorithme de consultation :
L’écran principal reprend la même logique que le panorama, avec une signalétique des pastilles invitant à l’interaction :
Un contrôleur graphique, dans le coin droit bas, facilite le repérage pour cadrer l’image représentée. Là encore, l’image de la maquette est issue des phases de mise en place et n’est pas définitive.
Une particularité technique ici : le musée utilise les solutions de Videomuseum pour gérer ses collections. Les dispositifs numériques étant par ailleurs administrables de manière centralisée dans le cadre des prestations multimédia, fournies par la société Mazedia, il fallu rapprocher ces deux systèmes d’information pour en permettre la communication automatique. La bonne pratique consiste en effet à proscrire la recopie des informations dans différentes bases de données, afin d’éviter un travail supplémentaire mais surtout les erreurs et les mises à jour divergentes. C’est un enjeu d’interopérabilité de plus en plus classique en milieu muséal, où la gestion des collections est désormais systématiquement informatisée, tandis qu’on attend du titulaire multimédia d’une exposition l’administration centralisée des dispositifs, à la manière du back office d’un site Web. La passerelle entre les logiques de médiation et de conservation fait alors l’objet d’un développement ad hoc
Epilogue
Comme je l’ai défendu souvent, notamment ici, je pense qu’une démarche de design doit viser la simplicité, et qu’un dispositif numérique dans un musée doit rester un moyen et non une fin – c’est à dire que la forme doit s’effacer devant le contenu, notamment dans la mémoire de l’usager. Ici, une bonne interface est une interface que personne ne remarque.
Dans le contexte des tendances actuelles, je ne serais pas étonné qu’on trouve à cette approche un déficit d’innovation. Mais la direction du musée n’allait pas dans le sens de la surmédiation numérique, ce qui me va, et bien que mon fond de commerce repose justement sur les développements technologiques, il est apparu avec une certaine évidence que le jaillissement spectaculaire n’était pas de mise ici.
Et enfin, je me demande à quel moment, dans l’histoire des différents supports comme le livre, la peinture ou le disque, on a cessé d’attendre un renouvellement perpétuel de la forme pour s’attacher davantage au discours porté. J’espère que dans le cas des réalisations technologiques ce cap sera bientôt franchi, et qu’on s’intéressera désormais plus à l’adéquation qu’à l’innovation.
Merci à Marine Charbonneau, Laura Louvrier, Alice Massé, Florence Tételain, Amandine Delcourt, Arnaud Devin, Sylvia Nwawel et Julien Vandromme du musée et de la ville de Roubaix pour leur collaboration dans ce projet, ainsi qu’aux sociétés Avril Films, Mazedia, Videomuseum, et ETC pour leur concours productif.
Ce fut un plaisir de collaborer à cette production. En espérant avoir répondu aux attentes de simplicité et de sobriété ;)
…et à la direction artistique : Monsieur Alex !
Reste plus qu’à retourner à Roubaix, ville que j’affectionne particulièrement.